Le marketing littéraire, c’est quoi? Ce sont les pratiques autour du livre et qui permettent d’en faire la promotion (et, accessoirement, de le vendre). Jusque-là, rien de très compliqué. Mais comment ces pratiques ont-elles évolué dans la littérature francophone (française et suisse romande en particulier) ces dernières années? Quelles sont les pratiques actuelles? Jerôme Meizoz les décortique, à partir d’études de cas, dans le livre dont je vais te parler dans cet article, Faire l’auteur en régime néo-libéral. Rudiments de marketing littéraire (Slatkine, 2020).
Jérôme Meizoz, je ne sais pas si tu t’en souviens, je l’ai déjà mentionné dans cet article, au sujet des postures littéraires. Il est professeur associé de littérature française à l’université de Lausanne, où j’ai moi-même étudié, et écrivain.
Le contexte littéraire actuel
D’abord, Meizoz donne un aperçu du contexte littéraire actuel. Celui-ci se caractérise par une démocratisation de la littérature, liée à des logiques principalement néolibérales:
Depuis les années 1990, les logiques néolibérales ont pénétré l’ensemble de la chaîne du livre, qui s’est concentrée à la suite de nombreuses fusions, dans quelques méga-groupes éditoriaux privés.
p. 62
Les deux phénomènes qui s’observent et qui sont interdépendants sont donc:
1. la montée de « mastodontes éditoriaux »
2. l’accentuation de la best-sellarisation
Quelles sont les conséquences de tout ça?
- Beaucoup de nouvelles auteur-e-s mais moins de ventes d’exemplaires vendus par livre ;
- La production dite « médiane », à savoir celles d’ouvrages vendus entre 10’000 et 99’000 exemplaires, qui assure des revenus professionnels aux auteur-e-s, s’est affaissée de 15%;
- La part des ventes des ouvrages à très grand succès a continué d’augmenter pour atteindre, en 2016, les 38%.
En résumé: il est de plus en plus difficile de vivre de sa plume, ce d’autant plus qu’écrivain-e n’est toujours pas considéré comme un véritable métier (pour des raisons que le livre évoque également). A moins d’écrire des best-sellers.
La logique du best-seller
Si une infime minorité des auteur-e-s, en France comme en Suisse, réalise des ventes exceptionnelles, les best-sellers garantissent donc, et de plus en plus, l’accès à une large audience. Phénomènes éphémères, ils reposent souvent sur une communication qui a la capacité « à faire résonner dans les médias l’auto-proclamation du succès commercial » (p. 77). En d’autres termes, le succès commercial (les ventes) est ce qui détermine le succès d’un livre aujourd’hui, tandis que la place laissée aux critiques littéraires et à l’estime artistique et esthétique a nettement diminué. Alors,
Les médias attirent […] l’attention non sur des œuvres mais sur des ouvrages ponctuels, restreints dans leur diffusion à la temporalité de l’activité éditoriale immédiate.
p. 79
Les régimes de mise en scène de soi
Avec ce phénomène du best-sellers, les régimes de « mise en scène de soi » des auteur-e-s ont pris de l’ampleur également. Ainsi pour vendre un livre ne suffit-il pas de l’écrire: il faut aussi cultiver son image. Meizoz détaille les différentes mises en scène et postures autour de la figure de l’écrivain-e. Critique, Meizoz souligne que l’écrivain-e doit donner de sa personne, dans une logique propre à « l’ère du spectacle » qui serait la nôtre aujourd’hui, afin de promouvoir son livre. Et cette tendance ne ferait que s’affirmer.
L’antinomie talent vs succès
Pourtant, malgré la reconnaissance commerciale du best-seller, on continue à opérer une antinomie entre le talent, d’une part, et le succès commercial, d’autre part. Si les auteur-e-s qui vendent beaucoup bénéficient d’une faible reconnaissance littéraire, c’est parce qu’on les soupçonne de produire des textes calibrés, davantage inspirés d’un storytelling efficace que par une vraie recherche esthétique. Autrement dit, ils répondraient à des demandes extérieures à la création plutôt qu’à la création elle-même. Et ainsi ils passeraient moins de temps à écrire qu’à faire leur promotion.
Des fictions nouvelles vs les grandes industries culturelles
Alors, comment dépasser cette dichotomie? Même si la réalité est sans doute plus complexe, je reproche à la littérature adoubée, celle qui n’a pas forcément le succès des fictions d’aujourd’hui, d’être parfois ennuyeuse, presque comme si elle craignait de mal faire, produisant des textes que je trouve sages et convenus. D’un autre côté, les textes à succès calibrés qui racontent toujours la même histoire ne sont pas intéressants, du moins pas à mes yeux. Je recommande, à ce sujet, la lecture de cet article de Titiou Lecoq sur Marc Lévy.
Il faut donc trouver des fictions nouvelles, percutantes, qui ne se contentent pas d’imiter les structures narratives dominantes d’aujourd’hui, mais qui les questionnent. Et je sais que c’est possible.
Tu veux essayer? Je suis certaine que tu en es capable. Tout le monde a quelque chose d’intéressant à dire.