Par Elodie Masin
L’écriture n’est pas un fantôme
Comme beaucoup de personnes, j’ai tendance à fantasmer, ma vie, mes projets… et mon écriture. Le risque advient lorsque fantasmer sur un homme idéal, par exemple, consiste à « fantômiser » les hommes bien présents autour de soi, lorsque le fantasme de l’écriture et d’un texte que l’on aimerait écrire devient le fantôme de l’écriture et du texte… Lorsque le fantasme se bute à lui-même, ne sert plus à nourrir un imaginaire pour nourrir la feuille, mais à s’alimenter lui-même dans un engrenage stérile.
Agir plutôt que cultiver le fantasme
Voilà pourquoi la méthode d’accompagnement littéraire de Marie-Eve m’aide. Sa vision du soin prodigué à soi-même pour être en puissance d’écrire et l’organisation de plages d’écriture m’ancrent dans une réalité concrète, dans une conscience de moi-même et du temps où peut naître le texte. Un texte libéré de son fantôme.
Je crois que le fantasme est une béquille pour affronter notre insatisfaction, notre contrariété ou notre souffrance de la réalité. Cependant le fantasme d’un « mieux » ou d’un « parfait » devient parfois plus douloureux que la réalité imparfaite. C’est pour cela que cette phrase d’Anaïs Nin me fait du bien : « Vint un temps où le risque de rester à l’étroit dans un bourgeon était plus douloureux que le risque d’éclore. »
Parce que le fantasme est un réflexe face à la peur, mais qui entretient la peur à cause de l’inaction dans laquelle il nous prostre.
L’ampleur et la puissance s’acquièrent dans le réel du temps présent, et grâce à l’action, au mouvement de la main qui tient le stylo, des doigts qui tapent sur le clavier d’ordinateur. Le travail de l’écriture c’est avant tout cette extraction du fantasme, ce balayement vigoureux des projections mentales sur l’écriture, afin de nous rendre à nous-même, à nos capacités et à nos possibilités, au présent de notre être : au lieu où l’on se tient, où l’on respire.
Seul le vivant est puissant, même bancal, même inabouti.
Alors je crois qu’écrire, comme exister, c’est avant tout renoncer à la vie fantasmée, au texte fantasmé pour laisser vivre le texte écrit, avec toutes ses maladresses et ses incohérences, ses pétales déchirés, mais ses pétales vrais. L’important est d’abord d’accoucher le texte, avec son sang, son placenta, ses cris, le texte qui seulement une fois lâché, une fois né, pourra être léché, éduqué, élevé : retravaillé. Il y a un impératif d’expirer le texte, que l’on cesse de retenir en apnée (c’est Jean Cocteau qui emploie ce verbe de l’expiration). Alors je me répète à moi-même « cesse de faire grossir ton fantasme indéfiniment en toi, tu as assez inspiré, pousse, et expire ton texte… simplement vivant, juste là. Comme toi. »