Quand le regard des autres fait peur
Parmi les questions que je reçois le plus fréquemment des personnes que j’accompagne dans leur écriture, il y a celles qui sont liées au regard des autres. En substance, on se demande : « Que vont dire les autres gens quand ils verront que je parle d’eux ? Que vont-ils penser de moi quand ils liront ce que j’écris?» Parfois, ça concerne la famille, d’autres fois les amis, mais ça peut aussi concerner les connaissances, les collègues, ou même les ex.
Ce qui fait peur, ce n’est pas seulement la question du regard d’autrui sur ce qu’on fait, mais également sur ce dont on parle, surtout si on parle de gens réels, comme dans le récit autobiographique. Quid, par exemple, de nos relations intimes? Si on les raconte, va-t-on blesser quelqu’un? Fâcher? Va-t-on nous abandonner suite à la publication?
Le regard des autres: un frein à la liberté d’expression
Ces questions ont leur importance. Elle sont surtout un frein à la créativité et à la liberté d’expression. Car, si cette peur est très commune, elle n’est pas toujours fondée. Pour y répondre, et peut-être, j’espère, te rassurer, je vais convoquer deux axes: celui de la « posture d’auteur-e », et l’autre avec des exemples de parcours singuliers d’écrivain-e-s.
La posture d’auteur-e
La question de la posture a été traitée par l’écrivain et professeur suisse Jérôme Meizoz. Ce qu’il en dit est intéressant et assez libérateur, comme on peut le voir dans un article dans la revue Fabula (15 novembre 2017):
Une «posture» d’auteur renvoie au dispositif de présentation de soi en public. […] L’image publique de l’auteur peut s’autonomiser de ses coordonnées civiles, comment en atteste le choix du pseudonyme (Céline, Cendrars, Ajar). Si fréquent dans tous les arts, le pseudonyme n’est pas seulement une précaution contre la censure, ou un appel à la curiosité publique, mais il marque une nouvelle identité sur la scène d’énonciation littéraire.
Jérôme Meizoz, « Posture d’auteur », Fabula, 2017, je souligne.
Concrètement, ça veut dire ceci: tu es libre, en tant qu’auteur-e, d’adopter la posture que tu choisis. Tu peux écrire des récits autobiographiques et dire qu’ils le sont, tout comme tu peux prétendre que c’est de la fiction. Car, à partir du moment où tu publies, tu as le choix de présenter tes écrits comme tu le désires, tout comme tu as le choix, aussi, de prendre un pseudonyme.
Quelques exemples concrets
Delphine de Vigan, dans Rien ne s’oppose à la nuit, s’est attirée les foudres d’une partie de sa famille en racontant l’inceste paternel qu’a subi sa mère durant son enfance. Elle s’y était préparée, étant donné la loi du secret qui entoure ce genre de pratique. Elle le racontait, récemment, dans un podcast sur Arte radio. Annie Ernaux, quant à elle, a raconté son enfance, un mariage malheureux, un avortement, et bien d’autres choses encore sous le label autobiographique. C’est le cas aussi, par exemple, de Virginie Despentes dans son King Kong Théorie. A toutes ces femmes, il a fallu du courage pour dénoncer des réalités cachées, tues, honteuses, mal considérées. Aujourd’hui cependant, elles sont toujours debout, et leur démarche a été saluée et reconnue.
Mais il y a des cas moins extrêmes. Elena Ferrante, par exemple, qui écrit pourtant des romans, a choisi pendant longtemps de ne jamais révéler son identité. Comme on le voit, c’est donc avant tout une question de choix de posture.
Quelques conseils pratiques
Écrire, comme le dit Dominique Bucheton, « c’est toujours dire « je » ». Autrement dit, dès qu’on écrit on s’expose, avec notre vision du monde et de l’existence. C’est pour cela qu’il est important de comprendre que la peur n’est là que pour nous empêcher de le faire. On est pourtant obligé de s’y confronter, un jour ou l’autre.
Si tu as peur, c’est compréhensible. Mais sache que dire, s’exprimer, ça amène aussi de la reconnaissance, et inspire les autres. Tu peux toujours changer les noms des personnes et des lieux, et/ou prendre un pseudonyme. Et, si tu as besoin d’être inspiré-e, tu peux lire les écrivaines mentionnées dans cet article!
Cependant, si tu ne sais pas par où commencer, pourquoi ne pas essayer un petit cours d’écriture sur 7 jours? Bonne écriture, et courage! <3